Urgences médicales en France : un service public à risque

Désengorger les urgences et améliorer les services préhospitaliers

Les actualités font régulièrement l’état récurrent des décès aux urgences suite à de longues attentes ou aux erreurs de diagnostic et parfois médicales. En même temps, les urgentistes en grève depuis plusieurs mois mettent en évidence les conditions de travail difficiles, voire impossibles, qui leur incombent. L’engorgement des urgences est devenu un sujet insoluble depuis plusieurs décennies et touche presque tous les établissements sur toute la France. D’après François Braun, président de Samu-Urgences de France, « des études montrent que cette surcharge cause une surmortalité de 9 % pour tous les patients et de 30 % pour les patients les plus graves ». Selon les rapports récents, les 3 points névralgiques des problématiques des urgences sont les suivants :

1- L’affluence des patients aux urgences

Selon le rapport du député de Charente, Thomas Mesnier en mai 2018, il y a 20,3 millions de passages aux urgences par an en France (en hausse de 3,5% par an depuis 20 ans). Les causes sont multiples : le vieillissement de la population, la croissance de la prévalence des maladies chroniques et surtout 43% de ces passages aux urgences pourraient être pris en charge par la médecine ambulatoire.

Cependant, on ne peut faire supporter la responsabilité aux patients car il est de plus en plus difficile d’obtenir un rendez-vous chez un médecin de ville, un spécialiste ou un gérontologue, etc. surtout si on ne fait déjà pas partie de leurs patientèles. L’insuffisance d’information sur l’offre et la pertinence des soins est également un obstacle de taille pour les patients dans leur processus de décision d’avoir recours ou pas aux urgences. De plus, la montée des précarités et des vulnérabilités engendre une présence non négligeable des personnes démunies et marginalisées aux urgences. La spécificité des réponses à ces malades en difficulté sociale met le service d’urgence en porte-à-faux, entre les activités médicales et l’aide sociale qui ne relève pas de son domaine d’exercice.

En même temps, il est indispensable de disposer des données fiables et homogènes sur des caractéristiques des patients venant aux urgences pour mieux analyser et organiser les activités des urgences. Certes, des progrès dans ce domaine ont été réalisés. Notamment, la généralisation des résumés des passages aux urgences (RPU) a permis de renseigner systématiquement sur les causes du recours aux urgences, les modes d’entrée et de sortie et les durées des passages. La fonction de triage des patients à l’entrée , assurée par un(e) infirmier(e) d’accueil et d’orientation (IAO), est présente dans 80% des services d’urgence en 2016 permettant d’établir des priorités de prise en charge des patients, en fonction de la gravité de leur état et du degré d’urgence des soins à donner. Cependant, le triage, une des clés de réussite pour désengorger des urgences, devrait se faire bien plus en amont, avant la prise de décision d’aller aux urgences. Il reste aussi à exploiter ces données (RPU) à bon escient, par les outils et méthodes pertinents et efficaces.

Certains établissements expérimentent l’orientation en journée vers une consultation assurée par les médecins de ville à proximité des urgences (par exemple, le partenariat entre l’hôpital Robert-Debré à Paris et le centre médical Europe pour la prise en charge des patients de la catégorie CCMU1 (Classification clinique des malades aux urgences – CCMU1 : état clinique jugé stable, abstention d’acte complémentaire diagnostique ou thérapeutique, examen clinique simple)) Bien entendu, ce type de partenariat serait plus facile à réaliser dans les grandes métropoles que dans les zones de désertification médicale.

2- L’inadéquation entre les besoins de charge en soins et le dimensionnement des personnels médicaux

« Si l’augmentation continue du recours aux services d’urgence a conduit ceux-ci à mieux s’organiser, le sous-effectif médical suscite des tensions dans un nombre croissant d’établissements », selon le rapport annuel de férvier 2019 de la Cour des Comptes. Face à une augmentation sans cesse des consultations non-programmées aux urgences des patients, l’insuffisance des moyens du personnel urgentiste ne fait qu’aggraver la situation.

En effet, plusieurs facteurs sont les causes de cette carence en ressources. D’abord, les services d’accueil des urgences ont du mal à recruter des personnels médicaux. Le cercle vicieux dans lequel évolue le personnel urgentiste entraine un turnover croissant dû aux conditions de travail et à la surcharge permanente. C’est un début de la crise de vocation des urgentistes. De plus, le mode d’exercice des praticiens a changé : parmi les 9600 médecins des services d’urgence en France au 31 décembre 2016, 77% travail à temps partiel en 2016 contre 43% en 2013. Depuis 2015, pour être conforme à la réglementation européenne, les obligations de service liées au travail clinique posté en France sont limitées à 39 heures par semaine en moyenne sur 4 mois.

Pendant ce temps, une chose est sure : les pics d’affluence de patients sont difficiles à anticiper, et à expliquer. Selon la direction du CHU de Rennes, « Nous n’arrivons pas vraiment à les expliquer. Il y a des jours où les flux sont très importants avec des typologies très différentes, sans que l’on ne sache expliquer pourquoi ». La difficulté majeure des gestionnaires des urgences est d’anticiper les besoins de charge en soins et de allouer des ressources appropriées, ce de manière optimisée et dynamique.

3- Une carence de lits en aval

Selon une étude sur une centaine de services d’urgence entre le 10 janvier au 09 mars 2018 par l’association SAMU-Urgences de France, « plus de 15.000 patients ont passé la nuit sur un brancard des urgences, faute de lit pour les hospitaliser dans un service ».

D’après les Études & Résultats de la DREES en mars 2016, 20% des passages aux urgences sont suivis d’une hospitalisation en dehors des services d’urgence. Il est d’autant plus difficile de trouver un lit si la patient s’est rendu dans un point d’accueil des urgences de forte influence ou si le patient est âgé. Ce sont ces patients à hospitaliser qui stagnent et qui provoquent la sursaturation et la surmortalité aux urgences.

L’ironie du sort : plus grand est le nombre de services contactés par le personnel des urgences pour trouver un lit d’hospitalisation pour un patient, plus grande est la probabilité pour que le dernier se retrouve dans un service qui ne correspond pas à sa pathologie ! L’idéal serait alors de pouvoir pré-réserver, en fonction des besoins potentiels non-programmés, un nombre de lits par pathologie dans les unités de soins ou dans les établissements partenaires. Ceci serait faisable seulement si l’on était capable de prédire les besoins de charge en soins par pathologie.

En conclusion….

Les gouvernements successifs ont multiplié les plans et circulaires pour essayer de faire face aux problèmes d’engorgement des services d’urgence. Le plan Hôpital en tension (HET) est un mode réactif et se base sur la préparation des processus à appliquer lorsque les indicateurs de seuil déclencheront le signalement du risque de rupture ou d’engorgement.

Quatre volets HET sont identifiés :

  • Volet anticipation (prévention au quotidien)
  • Volet réaction précoce
  • Volet réaction intermédiaire
  • Volet réaction pré-plan blanc

En voici quelques exemples d’indicateurs d’engorgement :

  • nombre total de passages aux urgences ;
  • nombre d’hospitalisations à partir des urgences ;
  • nombre de patients de plus de 75 ans et de moins de 3 ans, voire de moins de 1 an ;
  • nombre de patients présents aux urgences en attente d’examen : définir un seuil acceptable de délais de prise en charge au regard de périodes dans la journée ;
  • nombre de patients en attente de place dans un lit d’hospitalisation : définir un seuil acceptable de délais de prise en charge au regard de périodes dans la journée ;
  • occupation de l’UHTCD (unité d’hospitalisation de très courte durée) ;
  • taux d’occupation par service, le nombre de lits disponibles ou celui «libérables» dans l’établissement ;

La difficulté de la mise en place de ces plans, souvent due à la lourdeur des processus administratifs et au manque criant de moyens sur le terrain, fait que les résultats ne semblent pas au rendez-vous rapidement. En effet, on observe encore et malheureusement en 2019, des cas de décès, des erreurs de décision liés aux problèmes de surcharge des services d’urgence et des attentes interminables. Une approche plus globale et proactive basée sur les techniques analytiques et d’apprentissage profond des données disponibles (RPU) serait-elle plus efficiente pour mieux aiguiller les patients vers les solutions alternatives et prédire les flux de passage aux urgences. On pourra ainsi anticiper les moyens et ressources à mettre en place pour faire face aux besoins de charge en soins au bon moment.